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Extrait de :

La lutte pour la démocratie en Syrie et l’indépendance libanaise

Publié dans Confluences Méditerranée, n° 44, hiver 2002-2003

7 رمضان 1427, par Samir Kassir

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Le poids de la géopolitique

Les explications les plus répandues de la politique syrienne au Liban ressortissent, non sans raison, à l’analyse géopolitique. Cela paraît encore plus évident s’agissant du geste fondateur de cette politique, à savoir l ’entrée officielle de l’armée syrienne sur le territoire libanais en juin 1976. Même s’il faut signaler, pour sa valeur euristique, l’explication ’’domestique’’ proposée par Fred Lawson , le facteur géopolitique fut sans conteste déterminant dans la décision de Hafez El-Assad de passer de l’’’initiative syrienne’’ comme on appelait à l’époque les efforts de bons offices déployés par Damas, à une intervention militaire massive. Ce facteur prenait sens dans le contexte né de la guerre d’Octobre et de la perspective de règlement pacifique du conflit israélo-arabe dont la conférence de Genève devait fournir le cadre. Autrement dit, ce qui était en question, du point de vue des dirigeants syriens, c’était leur posture de négociation avec Israël et les Etats-unis. Or cette posture n’était pas susceptible de changer si l’on en restait au théâtre traditionnel de la confrontation syro-israélienne dans la mesure où l’accord de désengagement des forces sur le Golan, négocié par Kissinger en mai 1974 et déjà bétonné par le déploiement de Casques bleus de l’ONU, s’était doublé d’un arrangement informel concernant le maintien du statut quo. A l’inverse, l’instabilité dont le Liban voisin était le théâtre depuis le printemps 1975 pouvait être une source d’altération de l’équation géopolitique, dans un sens négatif aussi bien que positif. Il s’agissait donc, d’une part, d’éviter un affaiblissement de la position syrienne que n’aurait pas manqué de provoquer l’installation au Liban d’un régime à la gauche du Baas et le surcroît d’autonomie qu’y gagnerait alors la résistance palestinienne. Mais il s’agissait aussi, d’autre part, d’augmenter le pouvoir de marchandage syrien dans la perspective de la conférence de Genève et de l’évolution des relations bilatérales avec les Etats-unis.

Alors étroitement allié à la Jordanie, le pouvoir syrien pouvait se croire en mesure de parler au nom de ’’trois Etats et quatre peuples’’ selon une formule consacrée, pour peu qu’il réussît à contrôler 1’OLP et le Liban.

Passé ce moment fondateur, l’importance du facteur géopolitique ne devait plus se démentir. Certes, le départ de l’OLP du Liban, à la suite de l’invasion israélienne de 1982 et de la guerre syro-palestinienne de Tripoli en 1983, rendait sans objet les tentatives syriennes de contrôle du mouvement palestinien. De surcroît, le processus de paix était alors dans l’impasse, et la Syrie, un instant placée sur la défensive par l’invasion israélienne, sera largement occupée, pendant près de quatre ans, à reconquérir ses positions perdus Mais, dans le même temps, l’intérêt géopolitique de l’espace libanais s’enrichit d’une dimension nouvelle dans la mesure où le Liban devint le lieu où se manifestait l ’alliance syro-iranienne, notamment contre les pays occidentaux qui soutenaient l’Irak.

Ce fut cependant dans les années 1990, après le lancement du processus de paix de Madrid, que la mainmise syrienne sur le Liban, entre-temps consacrée par la fin de l’état de guerre révéla toute sa richesse stratégique. Le soutien déterminé accordé, à partir de 1993 surtout, à la résistance qu’animait désormais le Hezbollah devint un atout inestimable dans les négociations avec Israël. En parallèle, l’imposition du fameux talâzum al-masârayn cette notion totémique qui posait comme un à priori inquestionnable le couplage des deux volets libano-israélien et syro-israélien, achevait de neutraliser la diplomatie libanaise jusque-là attachée au principe du découplage entre l’occupation israélienne du Sud-Liban et le conflit israélo-arabe. Le résultat en fut la décision israélienne de retrait unilatéral, en mai 2000, qui représentait incontestablement une victoire pour le Liban , et tout aussi certainment pour la Syrie. Or, par un des paradoxes les plus curieux de l’histoire du conflit du Proche-orient, l’annonce du retrait israélien ne suscita au Liban et en Syrie, c’est le moins qu’on puisse dire , qu’embarras et confusion . Il est vrai que quelles que fussent les tentatives ultérieures pour ranimer la braise sur le front libano-israélien, ce retrait enlevait à l’espace libanais, et par conséquent à l’acteur syrien qui s’y mouvait la plus large part de sa fonction régionale.

Une fonction régionale

Si prégnants que fussent les calculs stratégiques du pouvoir syrien, on ne saurait pourtant se contenter de lire l’histoire de son engagement au Liban sous l’angle de la politique étrangère. Parler de géopolitique ici n’a de sens qu’à la condition d’ englober dans sa sphère l’espace syrien lui-même. Et cela aussi paraît évident dès le moment fondateur de cette politique. Sans adhérer à la thèse déjà citée de Fred Lawson, selon laquelle l’intervention syrienne au Liban s’cxpliquerait par des facteurs intérieurs - en l’occurrence le début de la contestation du régime -, il n ’est pas moins vrai que par ce geste , Hafez al-Assad réussit à doter son pouvoir d’une fonctionnalité extrinsèque. A défaut de s’appuyer sur une base sociologique étendue, son régime s’ordonnerait désormais en raison d’une équation régionale.

Le fait est, en tout cas, que cette intervention au Liban fut davantage même que la guerre d’Octobre, le geste qui consacra le statut de puissance régionale de la Syrie aux yeux des Etats-Unis et d’Israël comme des Etats arabes. Le “dialogue de la dissuation’’ qui à partir de cet instant, s’instaura avec Israël sur le territoire libanais restera l’une des constantes de la géopolitique du Proche-Orient durant plus d’un quart de siècle - sauf pour une parenthèse de deux ans entre 1981 et 1983. Et nul doute que cette fonctionnalisation à défaut d’expliquer complètement la longévité du régime d’Assad, est la principale raison de la faveur qu’il reçut de la diplomatie américaine, même après la normalisation égypto-israélienne.

Le registre de la realpolitik était d’autant plus fructueux qu’Assad sut habilement l’entrecroiser avec celui de l’idéologie, non sans acrobaties. Car, en parallèle, la présence de son armée au Liban, lieu de confrontation avec Israël, fût-ce d’une manière seulement latente, permit finalement au pouvoir syrien de conforter sa légitimité nationaliste et de surmonter plutôt rapidement le discrédit qui l’affecta à la suite de son alliance avec les milices de la droite chrétienne libanaise pour endiguer l’alliance entre la résistance palestinienne et la gauche libanaise. Et si la contribution syrienne à l’écrasement du camp palestinien de Tall al-Za’tar resta dans bien des mémoires comme une ’’tache’’, Assad n’eut à en répondre devant personne, surtout que le cavalier seul égyptien, après la visite de Sadate à Jérusalem en novembre 1977, dicta à la direction palestinienne de se rapprocher de nouveau, et à son corps défendant, de Damas.
La radicalisation israélo-américaine après l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan à Washington et la réélection de Begin en Israël, en 1981, fournit ensuite à Assad la possibilité de faire montre de sa résolution, sans pour autant jamais renoncer à l’arrangement de 1974 avec Israël. Certes, sa rapidité à accepter le cessez- le-feu au cinquième jour de l’invasion israélienne, en juin 1982, laissant seuls les combattants de la résistance palestinienne et de la gauche libanaise fit injustement oublier l’ampleur des pertes consenties par l’armée syrienne lors des deux grandes batailles de blindés des jours précédents. Mais le président syrien aura l’occasion de redorer son blason nationaliste l’année suivante quand, à la faveur du regain de la guerre civile au Liban - et de la recrudescence de la guerre froide -, il pourra profiter d’un réarmement substantiel fourni par I’URSS d’Andropov pour conduire une confrontation, même indirecte, avec les Etats-unis dont les marines enlisés au Liban ne tarderont pas à plier bagage.

Maintenant auréolé du prestige d’avoir fait échec à l’accord israélo-libanais du 17 mai 1983, et d’avoir empêché le précédent de Camp David de prévaloir dans un deuxième pays arabe, et n’ayant plus, de surcroît, à souffrir de la concurrence de 1’OLP que la Syrie après Israël avait achevé d’évincer de sa chasse gardée, Assad pouvait revenir à la realpolitik que les EtatsUnis, de leur côté, étaient d’accord pour réhabiliter.
Et pour être bien sûr qu’aucun dérapage ne viendrait compromettre cette realpolitik, Damas prit soin de neutraliser, directement ou indirectement, les formations libanaises et palestiniennes qui avaient mené la résistance au Sud-Liban après le retrait israélien de la plus grande partie du territoire occupé.

Malgré les antagonismes apparents à l’échelle régionale, notamment sur le surjet. de la guerre entre l’Irak et l’Iran, et en dépit d’une politique syrienne pour le moins complaisante dans les affaires des otages occidentaux retenus au Liban par des groupes pro-iraniens, les relations syro-américaines retrouvèrent leur stabilité. L’illustration la plus éclatante en fut donnée en 1988 quand l’émissaire américain au Liban, Richard Murphy, cautionna le choix syrien pour la présidence de la République libanaise, qui s’était porté sur le député Mikhaïl Daher, avec cette phrase célèbre : Ce sera Daher ou le chaos. Le chaos ayant prévalu, les Etats-Unis prirent soin de ne pas se compromettre un seul instant avec le nouvel adversaire local de la Syrie, le général Michel Aoun. L’ambassade américaine à Beyrouth fut même fermée à la suite d’une manifestation où des partisans du général Aoun avaient brûlé le drapeau américain. Et finalement en octobre 1990, un an après la conclusion de l’accord de Taef que le général Aoun s’obstinait à rejeter la Syrie put employer son aviation afin de déloger le général récalcitrant, en prélude à la normalisation du Liban. Le recours à des bombardements aériens, sans précédent depuis l’arrangement syro-américano-israélien de 1976, avait évidemment bénéficié d’un feu vert des Etats-unis à la veille de l’opération Tempête du désert à laquelle Washington désirait associer des troupes syriennes.

Le maniement en concurrence des deux registres de la realpolitik et de la résistance fut poussé à son extrême durant la séquence suivante, après le retour de la paix dans un Liban passé complètement sous contrôle syrien - sauf la mince bande frontalière occupée par Israël. D’un côté, la Syrie était engagée dans le processus de négociation de Madrid - Assad avait même été le premier à annoncer son acceptation du schéma proposé par le secrétaire d’Etat américain James Baker - et il était moins que jamais question de compromettre l’arrangement de 1974, même pour améliorer la posture de négociation syrienne. Celle- ci le sera une nouvelle fois grâce au théâtre libanais, à travers l’aide fournie à une résistance libanaise reformatée , et désormais exclusivement contrôlée par le Hezbollah. Mais, on l’a vu, le succès remporté dans le registre de la résistance se traduisit par un embarras dans celui de la géopolitique, puisque la décisions de retrait aboutissait à priver la Syrie de son principal levier en regard du processus de paix. Pis encore, la fin de l’occupation israélienne relança pour ainsi dire automatiquement les revendications libanaises d’un retrait syrien , au moment où la mort de Hafez al-Assad, survenue deux semaines après la libération du Sud-Liban mettait en jeu l’avenir même de son régime.


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