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Où s’arrêtera l’offensive israélienne ?

Le Monde - © International Crisis Group

mercredi 11 محرم 1430, par Robert Malley

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Une guerre dont ne voulaient ni Israël ni le Hamas s’est métamorphosée en guerre que tous deux sont résolus à poursuivre. Le cessez-le-feu préexistant n’était pas parfait, loin s’en faut. Israël subissait des tirs de roquettes intermittents, tout en sachant que l’ennemi juré profitait de la trêve pour renforcer son arsenal.
Le Hamas endurait un embargo économique sévère contrecarrant ses espoirs de gouverner Gaza. Un compromis logique était à portée de main : fin des attaques provenant de Gaza contre ouverture des points de passage entre Gaza, Israël et l’Egypte. Las, le défaut de contacts entre les deux acteurs, la méfiance réciproque et, surtout, l’absence d’un médiateur efficace ont concouru au résultat que l’on sait : un conflit de vaste envergure dont les deux parties espèrent tirer profit et dont les avantages leur semblent supérieurs au coût.

Pour le Hamas, prolonger la trêve semblait avantageux, mais uniquement à condition de l’aménager. Le calme relatif lui a permis de consolider son emprise sur Gaza. Mais le siège n’a jamais été levé. Les dirigeants islamistes se trouvaient dans la situation inconfortable de justifier une pause qui n’améliorait en rien le quotidien des Gazaouis. Alors qu’approchait la date d’expiration de la trêve, les tirs de roquettes allèrent en s’accroissant, message on ne peut moins subtil que le Hamas emploierait la violence pour forcer Israël à ouvrir les points de passage. La riposte israélienne aura étonné les militants du Hamas par sa synchronisation et son intensité. Mais le fait lui-même n’était guère surprenant. Il était attendu.

Car le Hamas compte engranger les bénéfices politiques de ses lourdes pertes matérielles. La victoire, telle qu’il la conçoit, consiste à résister à l’assaut de son adversaire. Déjà, il peut se prévaloir d’être la première force palestinienne organisée à résister à une attaque israélienne sur le territoire national ; pour un mouvement qui se nourrit de l’image du martyre et du courage, c’est là pain bénit. Son prestige, à l’intérieur comme dans le monde arabo-musulman - mis à mal par la férocité de sa prise de pouvoir à Gaza -, en sortira grandi. A l’opposé, celui de ses rivaux palestiniens -, le président Mahmoud Abbas, l’Autorité palestinienne basée à Ramallah et le Fatah - sera endommagé. Une invasion terrestre était également anticipée et, parmi certains militants du Hamas, souhaitée. Des combats en milieu urbain, estiment-ils à tort ou à raison, joueraient à leur avantage.

Israël aussi voyait le cessez-le-feu d’un relatif bon oeil, bien qu’avec de multiples et compréhensibles appréhensions. Le Hamas accumulait des roquettes à plus longue portée ; le caporal Shalit, enlevé en 2006, demeurait en captivité ; et les attaques provenant de Gaza continuaient de façon sporadique. Tout ça, Israël pouvait le supporter. Pas l’escalade qui a immédiatement précédé et suivi la fin de la trêve. Dès lors, même les plus rétifs à l’idée d’une vaste opération militaire s’y sont rangés.

Si une invasion n’était pas inévitable, une fois la guerre lancée elle devenait quasiment inexorable ; d’une part, la victoire militaire ne pouvait être obtenue par des bombardements aériens et, de l’autre, et contrairement au cas libanais, elle semble au moins concevable par voie terrestre. Dépourvu de profondeur stratégique et sans possibilité de se réarmer, le Hamas est autrement plus vulnérable que ne l’était son homologue libanais.

Mais après ? Où s’arrêtera Israël ? Si l’objectif est de neutraliser toute capacité militaire du Hamas, de le mettre à genoux, de l’empêcher de crier victoire et lui dénier toute légitimité, les forces armées israéliennes devront vraisemblablement pénétrer au coeur de milieux urbains. Qui gouvernera par la suite Gaza ? Quelle force autre que les islamistes y jouira de la moindre crédibilité ? Certes pas l’Autorité palestinienne, dont l’image souffre chaque jour davantage. Anéantir la force militaire du Hamas, peut-être. Mais détruire sa profonde présence sociale et politique relève de l’illusion.

Si cette guerre doit se conclure avant que l’opération israélienne ne se transforme en aventure à l’envergure incertaine, aux conséquences aléatoires et au coût humain, hélas, trop connu, il n’y a guère d’alternative à une intervention internationale forte et urgente. Des Etats-Unis, malheureusement, il n’y a pas grand-chose à attendre, du moins avant l’investiture de Barack Obama. Reste l’Europe, et en particulier la France, qui, avec le président Sarkozy, fait montre d’un activisme nouveau et bienvenu. Les contours d’une résolution crédible sont connus : arrêt immédiat des hostilités suivi d’un cessez-le-feu durable ; de l’envoi d’une force multinationale chargée d’en vérifier le respect ; de mesures à la frontière égyptienne pour juguler la contrebande ; et de l’ouverture de Gaza à l’Egypte et à Israël sous un mécanisme incluant les pays frontaliers, l’Union européenne, l’Autorité palestinienne et le Hamas.

Certains ne manqueront de soulever des critiques. Ordonner une trêve immédiate, dit-on, ne ferait qu’entretenir les éléments qui ont abouti à la crise. Soit. Le cessez-le-feu éventuel devra satisfaire les besoins israéliens en termes de sécurité et palestiniens concernant la levée du siège. Mais attendre que tout cela soit accepté présenterait d’énormes risques : en pertes humaines ; en dommages politiques (radicalisation de la région ; discrédit des forces dites "modérées", comme Mahmoud Abbas, ou du prétendu processus de paix) ; ou en nouveau cataclysme à Gaza ou en Israël.

D’autres dénonceront le fait de reconnaître au Hamas un rôle à Gaza. Mais c’est simplement se plier aux réalités politiques. Les habitants de Gaza et du Sud israélien ne connaîtront pas de calme véritable tant que le monde refusera de traiter avec le mouvement islamiste et tant que le mouvement islamiste ignorera ses obligations internationales. En échange de l’arrêt des attaques provenant de Gaza et d’un régime sécuritaire renforcé, la communauté internationale devra reconnaître au Hamas le droit d’y exercer son pouvoir, en son sein comme à ses frontières.

L’histoire de ces deux dernières années à Gaza est celle d’une banqueroute collective et sans équivoque : du Hamas, qui a raté l’occasion d’agir en tant qu’acteur politique responsable ; d’Israël, qui s’en est tenu à une politique chimérique visant à isoler et affaiblir le mouvement islamiste et qui aura produit précisément le contraire ; de la direction de l’Autorité palestinienne, qui a refusé d’accepter le triomphe électoral de son rival, a tenté de l’effacer pour finalement agir comme représentant d’une faction du peuple contre une autre ; et enfin de la communauté internationale, qui a exigé que le Hamas se transforme en parti politique sans l’y inciter et qui n’a que tardivement découvert les vertus de l’unité palestinienne, après des années passées à la contrecarrer.

Dialoguer prudemment avec le Hamas, lui reconnaître un rôle à Gaza et aux points de passage : cela constituera peut-être une "victoire" pour le mouvement islamiste, quelles que soient les destructions et pertes encourues. Mais c’est la conséquence d’un embargo irréfléchi qui n’aurait jamais dû être. Et puis, si cela devait aider à en terminer avec les tirs de roquettes et permettre aux Israéliens de vivre plus normalement, cela constituerait également une importante victoire pour Israël - et, plus encore, pour les civils des deux côtés qui sont seuls à payer la facture.


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